Alors que beaucoup s’accordent à dire que « plus l’entreprise vend de produits, plus elle est viable », la crise énergétique et le besoin accru de pratiques durables poussent les entreprises à s’adapter, pouvant aller jusqu’à changer de modèle pour plus de résilience.
De manière générale, bien que les entreprises se réfèrent régulièrement à la seule « sobriété énergétique », il convient de noter que le nombre d’occurrences du terme « sobriété » est de plus en plus présent dans les documents de reporting. Selon l’ADEME, la sobriété n'a « pas de définition figée et regroupe des réalités multiples à travers des démarches de frugalité, simplicité, zéro-gaspillage, efficacité, sobriété énergétique, ou encore de déconsommation. Le dénominateur commun de ces diverses approches est la recherche de modération dans la production et la consommation de produits, de matières, ou d'énergie. ». De son côté, ORÉE définit la sobriété par le fait d’ « agir collectivement et individuellement sur le niveau d’usage en priorisant les besoins essentiels et en repensant les services rendus. Elle a été différenciée de la notion d’efficacité qui, elle, vise à réduire les consommations pour un même besoin. ».
La sobriété est avant tout une démarche, un cheminement qui va mobiliser des étapes clés pour avancer et travailler sur la mise en place d’actions pertinentes pour l’entreprise dans son fonctionnement, son secteur d’activités et son écosystème local. Elle dépasse le seul volet de la baisse des consommations liées aux usages. La sobriété implique de s’interroger sur les logiques de volumétrie actuelles, sur les besoins énergétiques et les matières et nécessite de faire évoluer les modes de production et de consommation, voire les modèles d’affaires.
La sobriété encouragée par le contexte actuel et la règlementation
En 2020, le Pacte Vert pour l’Europe (« Green Deal ») a lancé un plan d’actions en faveur de l’économie circulaire, avec l’objectif de réduire la pression exercée sur les ressources naturelles et l’environnement, tout en stimulant l’innovation et la compétitivité économique.
Applicable depuis janvier 2024, la Directive européenne « Corporate Sustainability Reporting Directive » (CSRD) fixe de nouvelles normes et obligations de reporting extra-financier. Elle concerne les grandes entreprises et les PME cotées en bourse, et encourage davantage le développement durable des entreprises.
D’autre part, la loi Anti-Gaspillage pour une Economie Circulaire (AGEC, promulguée en 2020), vise à promouvoir l’économie circulaire comme vecteur de transformation de l’économie linéaire actuelle (« je produis, je consomme, je jette ») en un modèle économique dit circulaire intégrant les enjeux environnementaux globaux.
En parallèle, dans un contexte d’inflation et d’augmentation de défaillances d’entreprisesla France a constaté une réduction de 12% des consommations d’énergie durant l’hiver 2022-2023.
Il convient aussi de noter que certaines entreprises œuvrent volontairement et se positionnent en avance sur la réglementation.
Une opportunité pour les entreprises de devenir plus compétitives
La raréfaction des matières et la hausse des coûts d’approvisionnement ont des effets significatifs sur la rentabilité économique des entreprises. Selon Patricia Savin, Présidente d’ORÉE, « si les entreprises travaillent depuis des années à une meilleure gestion de leurs consommations, la mise en œuvre opérationnelle de la notion de sobriété s’est accélérée en raison du contexte géopolitique et économique actuel. ». La maîtrise de la demande en énergie est donc devenue un facteur de compétitivité non négligeable puisque la hausse des coûts de l’énergie a un effet direct sur l’équilibre économique des entreprises.
D’autre part, une croissance économique exponentielle dans un monde aux ressources finies aboutit inévitablement à une limite matérielle au développement et une augmentation du coût des matières premières. Il est donc indispensable aujourd’hui de revoir les modèles de production pour diminuer les consommations de matières.
La sobriété a aussi un impact sur l’attractivité des entreprises. Les attentes des citoyens vis-à-vis des acteurs économiques sont en effet de plus en plus exigeantes : d’après une étude du CSA (Consumer, Science & Analytics) conduite pour l’ADEME, 91 % des salariés français considèrent que la transition écologique est un sujet à adresser.
Sobriété énergétique des bâtiments, mobilité professionnelle et sobriété des matières
En France, le secteur du bâtiment représente plus de 40 % des consommations d’énergie et contribue à hauteur de 20 % aux émissions de gaz à effet de serre. Face à ces constats, l’adoption de principes de sobriété énergétique s’avère cruciale. Sur la base de 27 répondants à l’étude réalisée par ORÉE, les thématiques de sobriété mentionnées comme étant prioritaires au sein des entreprises sont en effet l’énergie, qui arrive en tête dans 67% des cas, les matières arrivent en 2e position (30%), suivies par l’eau (26%), la décarbonation (22%) puis le numérique (11%).
En adéquation avec la stratégie, le plan d’actions permet de développer une réponse opérationnelle et cohérente à un objectif. Intégrer la sobriété de manière transversale, au-delà du seul domaine de l’énergie, s’avère être une piste d’actions plus que nécessaires.
Si l’on s’attache aux actions mises en place par les entreprises, il ressort de cette étude que 90% des mesures concernent des actions liées aux changements de comportement des collaborateurs. Dans 36% des cas, ces actions sont combinées à des investissements sur les équipements techniques leur permettant d’être plus sobres dans leurs activités. A titre d’exemples, parmi les actions privilégiées on trouve des actions de régulation des températures, de gestion des éclairages, de télétravail ainsi que des investissements dans la rénovation énergétique des infrastructures. Ces résultats illustrent principalement un positionnement rapide et efficace pour répondre aux contraintes liées aux fluctuations énergétiques. A noter cependant, afin que la sobriété soit une réponse efficace aux enjeux environnementaux, ces actions doivent être structurantes et s’inscrire dans le temps long. Les actions des entreprises ne peuvent se limiter aux éco-gestes, il convient d’accélérer la transformation des modes de production et des modèles économiques, initiatives tout juste initiées pour le moment.
Dans cette dynamique de sobriété, l’intensification des usages des bâtiments est également grandissante. Il s’agit de répondre à de nouveaux besoins, sans construire, de renforcer l’attractivité des espaces concernés, ou de construire pour accueillir divers usages. De fait, aujourd’hui, de nombreux espaces, notamment d’activités tertiaires, ne sont pas exploités pleinement. En Ile-de-France par exemple, la montée en puissance du télétravail va conduire dans les 10 prochaines années à un excès de 3,3 millions de m² de bureaux, soit 6,5 % du parc (source : beta.gouv.fr). Aussi, la chronotopie, qui propose une prise en compte temporelle et spatiale des usages des lieux pour en optimiser l’utilisation, est dans l’air du temps. En parallèle, il convient d’adapter les bâtiments existants pour allonger leur durée de vie et éviter leur démolition.
En 2025, le décret BACS imposera d’installer des dispositifs de gestion technique des bâtiments (GTB) dans les infrastructures neuves et existantes afin d’automatiser le pilotage et le suivi des consommations d’énergie. La sobriété doit donc être intégrée dès la conception des espaces urbains et des bâtiments et implique des changements de pratiques des entreprises du secteur pour répondre aux enjeux d’étalement et de décarbonation.
La transition du secteur des transports, qui constitue le premier émetteur de GES en France. En 2021, les transports étaient en effet responsables de 30% des émissions de GES au niveau national (source : MTE). Côté mobilité professionnelle, les entreprises cherchent à réduire les déplacements professionnels non nécessaires, y compris par le télétravail, à favoriser les transports en commun et les mobilités douces. Les entreprises interrogées mentionnent largement le forfait mobilité durable - qui permet de favoriser des modes de déplacement plus sobres en indemnisant les salariés utilisant le vélo, les transports en commun ou le covoiturage pour se rendre sur leur lieu de travail - comme accélérateur de la sobriété.
La sobriété matière consiste quant à elle à réduire la consommation des ressources via le réemploi, l’éco-conception des produits pour prolonger leur durée de vie ou encore, entre autres, le recyclage permettant de valoriser les déchets. Les actions d’économie circulaire, qui introduit la notion de gestion optimisée des ressources pour faire mieux avec moins, constituent un facteur clé pour faciliter la mise en place de la sobriété en engageant les entreprises dans une démarche ambitieuse et systémique.
Le modèle de « production juste », permettant aux entreprises de vendre des produits en maintenant leur modèle économique tout en évitant la surproduction grâce au système de fabrication à la demande/commande, semble également être un facteur clé, tout comme l’économie de la fonctionnalité et de la coopération, pilier de l’économie circulaire, centrée sur l’usage.
Ces mesures permettant la préservation des ressources sont aujourd’hui moins matures que les actions de sobriété énergétique.
Une adaptation stratégique pour les entreprises
Afin de construire leur stratégie globale de sobriété, il convient que les entreprises prennent connaissance de la situation actuelle sur le sujet en analysant les atouts, les faiblesses, les opportunités et les freins à l’ambition de sobriété de leur organisation.
Dans le cadre de leur stratégie de sobriété, les organisations doivent définir des objectifs précis et mettre en place des plans d’actions adaptés pour bénéficier de résultats chiffrables et objectivables. Cela nécessite un changement de paradigme dans la manière dont les entreprises conçoivent leurs produits, leurs services et leurs opérations. Les entreprises doivent aujourd’hui être acculturées à la notion de sobriété en tant que remise en question des besoins.
Bien qu’un certain nombre de réticences freinent encore la mise œuvre de démarches opérationnelles de sobriété, de nouveaux modèles émergent.
Pour pérenniser son activité sur le long terme, il est dans un premier temps nécessaire que l’entreprise identifie les postes de consommation sur lesquels agir afin d’optimiser les consommations. Des dispositifs d’accompagnement tels que les audits énergétiques ou le diag Éco-flux sont mobilisables. Même si l’étape de diagnostic est importante, près d’un quart des entreprises ne l’évoque pas comme un préalable à la mise en pratique et indique avoir directement pris en compte le plan de sobriété du gouvernement.
Parmi les leviers d’actions, la prospective est également mobilisable pour définir une politique de sobriété puisqu’elle permet d’imaginer les futurs possibles avec les risques et les opportunités liés. Il s’agit de distinguer les tendances conséquentes et déterminantes pour l’avenir afin de les traiter le plus tôt possible.
Une mise en œuvre avec l’ensemble des parties prenantes
Sur 27 entreprises interrogées, 25 ont mis en avant l’engagement comme principal déclencheur de la prise en compte de la sobriété dans leur stratégie, au-delà des facteurs de pression énergétique liés au contexte. A noter qu’il s’agit de la première intention mise en avant, celle-ci étant souvent combinée à d’autres facteurs.
Etant un axe stratégique fort, la sobriété doit notamment s’appuyer sur un engagement ferme de la gouvernance de l’organisation, clé de voûte pour faciliter l’évolution vers un modèle soutenable. En effet, pour que les actions soient à la hauteur des ambitions, chaque niveau de l’organisation doit non seulement être impliqué mais également être proactif dans la démarche de sobriété. En interne, la sensibilisation et la formation (webinaires, séminaires, newsletters, etc.) sont indispensables pour comprendre les implications métier et accompagner vers davantage de sobriété.
Les investisseurs peuvent aussi pousser les entreprises à modifier leur stratégie pour opérer une transition, par exemple en demandant un reporting précis sur les consommations énergétiques et les actions de décarbonation.
Selon Nathalie Boyer, Déléguée Générale d’ORÉE, les transformations doivent aller plus loin que des questions énergétiques et au-delà des considérations internes de gestion des consommations. Elles nécessitent d’embarquer tous les acteurs impliqués dans le fonctionnement de l’activité. Il s’agit bien d’une démarche systémique, qui nécessite non seulement d’impliquer les parties prenants internes de l’entreprise mais aussi l’ensemble de son écosystème, mobilisant toute la chaîne de valeur, du fournisseur au consommateur.
Au-delà de sa chaîne de valeur, l’entreprise peut influencer son environnement local, en créant de la coopération ou en devenant l’ambassadeur de son secteur d’activités.
Pour accompagner les entreprises, fédérations et éco-organismes jouent un rôle important. Ils peuvent en effet accompagner les transformations de pratiques à l’échelles d’une filière ou d’un secteur à travers la rédaction de guides, l’accompagnement dans le développement de pratiques d’éco-conception, de réemploi ou encore de réutilisation et de réparation. Les collectivités sont également actives dans la mise en œuvre opérationnelle de la sobriété dans les entreprises. Certaines développent par exemple des stratégies de long terme sur des thématiques telles que l’aménagement, la mobilité ou l’énergie. Au-delà de la considération de leur fonctionnement interne, les entreprises doivent donc changer d’approche et interagir davantage avec leurs filières, leurs réseaux, leur chaîne de valeur et leurs écosystèmes locaux pour faciliter leur transition et développer leur résilience territoriale.
La mesure de suivi des engagements
On attend de plus en plus des entreprises qu’elles rendent compte de leurs engagements environnementaux. Au-delà d’être un enjeu central dans la réalisation des objectifs d’une démarche, la mise en place d’indicateurs de sobriété permet donc de répondre aux attentes croissantes des différentes parties prenantes en matière de responsabilité environnementale et de transparence.
Des systèmes de mesure et de suivi adaptés sont mis en place par les entreprises afin de quantifier les résultats et ainsi s’assurer de l’efficacité de leur stratégie de sobriété.
Les entreprises s’appuient sur plusieurs outils afin d’analyser leur fonctionnement, tels que des outils de mesure d’impacts pour éviter les gaspillages, des outils pour faire le bilan des activités menées ou encore des outils de prospective pour envisager des modèles de moyen / long terme. Malgré tout, en 2024, plus de 40% des structures interrogées sont concernées par des difficultés d’accès à la donnée pour réaliser le suivi de leur engagement. Cela peut notamment s’expliquer par le statut juridique des organisations, l’externalité de certaines activités ou encore l’hétérogénéité des activités.
L’étude des émissions de GES est un des outils d’aide à la décision pour 30% des entreprises. Il permet en effet de déterminer les principales sources d’émissions pour établir un plan d’actions de réduction, en les priorisant.
Concernant les méthodes de construction des indicateurs de sobriété, il apparaît que la plupart des structures sollicitées ne font pas appel à des experts externes. Elles mettent davantage en place des groupes de travail internes pour ce faire.
A noter également, l’ensemble des entreprises interrogées valorisent leurs actions en termes de sobriété et 52% les valorisent autant en interne qu’en externe, notamment à travers les rapports de durabilité.
Le secteur du bâtiment étant fortement émetteur de GES, un certain nombre d’entreprises a déjà mis en place un suivi des actions liées à la baisse de leur impact sur ce volet. Plus de 80% d’entre elles disposent d’indicateurs de sobriété énergétique dans la phase d’usage des bâtiments. Cette tendance s’est accélérée avec le plan de sobriété du gouvernement.
En ce qui concerne la mobilité, les indicateurs liés aux déplacements professionnels sont nombreux. Ils peuvent être liés aux types de transports utilisés, en suivant par exemple le taux de mobilité douce ou partagée, le taux d’électrification de la flotte de véhicules ou le suivi des consommations de carburants / d’électricité.
Les différents travaux effectués dans le cadre de ce rapport soulignent que la sobriété matière n’est cependant pas aujourd’hui une priorité pour les organisations. Près d’une entreprise sur deux ne possède pas d’indicateurs de suivi de la sobriété sur cette thématique. Cependant, ce suivi est d’autant plus important qu’il est attendu dans le cadre de la CSRD.
Au-delà des situations de crise et des attentes réglementaires, la sobriété s’est imposée comme une démarche incontournable pour garantir le fonctionnement pérenne des entreprises. Il s’agit de proposer des changements plus profonds qui touchent aux stratégies économiques des entreprise, et qui fonctionnent en complémentarité avec un changement de pratiques, qui demande de requestionner les besoins.
La sobriété ayant été intégrée récemment dans les entreprises, les difficultés quant à la réalisation d’objectifs et d’actions en sa faveur sont évoquées par la majorité des structures sollicitées. Ces dernières soulignent notamment les coûts nécessaires pour la mise en place de changements structurels conséquents et de mesures de plus long terme. La réticence des parties prenantes internes et externes a également été mise en avant. En effet, une grande partie des mesures étant comportementales, il est difficile de déployer une stratégie de sobriété si les parties prenantes sont réfractaires au changement. L’anticipation de ces difficultés est nécessaire, et peut notamment passer par la communication et la sensibilisation en amont.
Malgré tout, il existe aujourd’hui une dynamique autour de la notion de sobriété, les entreprises ayant amorcé des réflexions et des démarches permettant sa mise en œuvre. Les entreprises peuvent encore monter en compétences sur le sujet, à travers une connaissance des notions et des leviers d’actions à leur disposition pour amorcer les transformations nécessaires à la pérennité de leurs activités.
Cette synthèse, réalisée en partenariat avec ORÉE, fait suite à la publication de l’étude : « L’appropriation stratégique de la sobriété par les entreprises ».
ORÉE, en partenariat avec le Commissariat général au développement durable (CGDD) et la Direction générale de l'Énergie et du Climat (DGEC) a élaboré cette étude à partir de pratiques de soixante entreprises. Cette étude met en lumière des bonnes pratiques en la matière, autour de 3 axes : la sobriété énergétique des bâtiments et des locaux professionnels, les mobilités professionnelles et la sobriété des matières. Elle résulte d’analyses de déclarations de performance extra-financière, de réponses à un questionnaire et de la conduite d’entretiens.
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