Les entreprises sont challengées. Pour durer, elles doivent se transformer. Tout converge vers une mise en mouvement. Les aspirations des collaborateurs, les exigences des clients ainsi que les conditions des investisseurs les poussent à se mobiliser, sans compter la réglementation qui ne cesse d’évoluer et devient de plus en plus contraignante. Alors même que les entreprises sont incitées à devenir plus responsables, certaines vont plus loin pour devenir contributives ou régénératrices. Cette ambition d’utilité et de participation à l’intérêt général émerge généralement lorsqu’une entreprise se lance dans l’écriture de sa raison d’être en intelligence collective.
L'engagement réciproque : condition sine qua non pour devenir une entreprise régénératrice
Il n’est plus un secret pour personne que les collaborateurs d’une entreprise sont plus que jamais en quête de sens au travail. Au sortir de la crise de la Covid, les études foisonnaient et convergeaient : le sens de leur travail préoccupe 92% des actifs, et 40% d’entre eux envisagent même de quitter leur emploi pour un travail davantage porteur de sens dans les deux ans à venir (sondage Opinion Way 2022 - Anact).
Paradoxalement, le chamboulement du monde professionnel, provoqué par la crise covid, la perte de sens au travail et l’émergence d’une nouvelle génération plus mobile, rend l’engagement en entreprise de plus en plus compliqué.
Comment, dans ce contexte, œuvrer concrètement pour engager une transformation RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) sur le long terme, afin d’aligner rentabilité et externalités positives ? C’est l’ambition actuelle de nombreuses structures, qui, au-delà de minimiser leurs impacts négatifs pour être responsables, veulent accorder aux enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux la même valeur qu’aux enjeux financiers. C’est un changement de chaînes de valeur et bien souvent de modèles socio-économiques qui sont au cœur de l’économie régénératrice. L’enjeu : viser un cran au-dessus de la RSE telle qu’elle est souvent abordée actuellement, pour aller directement vers un impact positif.
Un projet fort, impossible à implémenter sans l’engagement des collaborateurs. Comme le souligne Laurent Soriano, “notre terreau, c’est le capital humain”. Le responsable du développement et de la formation au sein de Mozart Consulting exhorte les entreprises à “parler d’engagement” avec leurs salariés, et les accompagne avec l’IBET (indice de bien-être au travail, conçu par Victor Waknine). Cet outil, “considéré comme un indicateur puissant de dialogue social et de communication”, permet aux parties prenantes de l’organisation du travail (direction, management, élus…) de “définir ce qui est constatable, mesurable”, et d’établir “une cartographie statistique et sectorielle de l’engagement”, révélateur de performance sociale.
Et ce n’est pas Avital Vallois, Account Manager chez Sindup, qui le contredira. Pour elle, il est évident que “connaître les aspirations des collaborateurs n’est plus seulement une mission liée aux services des Ressources Humaines”, mais un impératif dans toute l’entreprise. “C’est un soft skill qu’on attend d’un manager. On attend qu’il soit capable de comprendre les besoins d’engagement et de sens de ses équipes.”
Un enjeu réel, car Laurent Soriano n’oublie pas que l’engagement est un terme valise. “Derrière ce mot, on met tout et n’importe quoi – surtout n’importe quoi”, dit-il. D’où l’importance d’être capable d’identifier ce que les collaborateurs y attachent. Que ce soit un sentiment d’utilité (comme 53% des actifs), la nécessité d’avoir de l’impact (42%), la nécessité d’éprouver un épanouissement personnel (37%), ou encore un alignement entre ses valeurs et celles de l’entreprise (32%). Ainsi, la direction peut, le cas échéant, se mettre au diapason. “L’engagement n’est pas unilatéral. On pense d’abord à l’engagement des collaborateurs envers l’entreprise, mais on oublie de regarder avec les deux yeux.” Et d’insister sur les actions concrètes que l’entreprise doit mener. “L’engagement se nourrit, il ne se décrète pas. L’entreprise doit offrir à ses salariés une direction, un cap.”
Créer de la confiance
Pour que l’engagement de l’entreprise et des salariés soit réciproque, “les leaders doivent comprendre ce qui fait lever leurs équipes le matin pour venir au travail”. Un moyen de mettre en place des actions concrètes d’instaurer de la confiance, moteur essentiel de l’engagement. et donc de performance “Si je n’ai pas confiance en toi, j’aurais du mal à m’engager avec toi. Ces choses-là se nourrissent avec des preuves.” Ce qui nécessite du temps, mais aussi des outils. Car une période de diagnostics et d’évaluation est nécessaire pour améliorer les choses. “Avant, on pensait que l’engagement, c’était 0 ou 1. Désormais, on voit bien que c’est plus subtil. C’est le rôle de l’entreprise et du manager de comprendre ça.”
Si les taux de rotation, l’absentéisme ou encore les entretiens annuels sont scrutés de près, les enquêtes internes sous forme de questionnaires restent les outils les plus répandus pour mesurer l’engagement. Mais, concrètement, que fait-on des résultats de ces enquêtes, et surtout permettent-ils d’améliorer l‘engagement ? Les retours des entreprises montrent tout de même que ces pratiques offrent une photographie d’ensemble. Mais “pour que ça s’incarne, il faut que chaque manager puisse s’en saisir comme un outil de dialogue avec son équipe”, insiste Laurent Soriano. Si le questionnaire est un véritable “outil de progrès”, qui permet de “mesurer les évolutions positives” ou d’observer “ce qui bouge d’un baromètre à l’autre”, il doit absolument être suivi d’actions de l’entreprise, au risque de décevoir les salariés. “On observe parfois des expériences négatives, parce que les collaborateurs ont donné du cœur et se sont livrés dans les questionnaires, mais n’ont rien vu changer derrière.”
Pire, à force de s’investir dans des enquêtes internes sans impact concret, on arrête d’y répondre. Les managers observent effectivement un “effet de lassitude” qui fait chuter le taux de retours. Un réel enjeu pour toute entreprise dont l’ambition autour de l’économie régénératrice implique une adhésion forte de toutes parties prenantes qui la composent. L’IBET permet en partie d’élaborer une stratégie en vue de répondre à ces problèmes, en écartant les démarches subjectives pour mesurer l’impact et piloter la performance sociale, en s’appuyant sur le management. “L’engagement n’est pas l’affaire des RH, c’est celle du management. On dit souvent qu’on ne quitte pas une entreprise, mais son manager. C’est un peu provocateur, mais il est certain que le manager peut avoir des effets très positifs ou négatifs sur les collaborateurs.”
Une cartographie des lieux de désengagement
L’IBET est un outil capable de récupérer les données sociales et d’en sortir des indicateurs objectifs autour de l’engagement et du désengagement, s’attelle à mesurer l’engagement réciproque. Il s’intéresse au comportement des collaborateurs comme à celui de l’employeur, à partir de mailles sociales, opérationnelles et métiers, pour aboutir à une cartographie qui s’attache à tous les périmètres. L’ensemble des critères (coefficient, variables, mailles, etc.) sont adaptables. “On peut les ajuster avec l’entreprise, en fonction du contexte, assure Laurent Soriano. Par exemple, on peut pondérer les démissions, car on peut démissionner pour plein d’autres raisons qu’un mal-être au travail.”
Le score global, une sorte de social-score qui n’est pas sans rappeler le nutri-score que l’on a vu s’imposer dans l’alimentation, permet de se comparer à son secteur de référence à travers une note (de 0 à 1) et cinq catégories (adhésion, bien-être, contraint, désengagement, épuisement). Un point de départ pour lancer des plans d’actions, mais aussi un moyen de valoriser en euros le coût du désengagement (variation à la hausse ou à la baisse de la valorisation de l’entreprise, évaluation des coûts cachés du désengagement à travers la maladie ordinaire, les accidents du travail, l’employabilité…).
“Ce n’est pas une boule de cristal, précise tout de même Laurent Soriano. On reste sur de l’humain, il y a une part de subjectif. Mais cela offre une cartographie qui permet de localiser de manière assez précise les lieux de désengagement, un service par exemple. Si je sais où ça se situe, je sais où agir.”
Si l’IBET n’est pas un outil référentiel parfait, il reste capable d’apporter des éclairages sur des sujets extrêmement complexes. Une sorte de révélateur des signaux faibles. “Personne ne prétend avoir une réponse simple et évidente, mais on peut intuitionner les zones d’action.”
Un moyen, a minima, d’avoir un référentiel de vigilance managériale. De doter le management d’un outil permettant de suivre l’adhésion des équipes au projet global, et le cas échéant d’entreprendre des actions pour permettre à chaque collaborateur de comprendre le cap de l’entreprise et son rôle dans la machinerie générale. “Si je n’ai pas les moyens d’être utile au travail, ça va finir par questionner le sens, et générer potentiellement du mal-être professionnel.”
Informer, mobiliser, former
Bien sûr, la mesure ne suffit pas. Une fois que le diagnostic est posé, il faut réussir à mettre en œuvre une dynamique apprenante. Pour Avital Vallois, de Sindup, le triptyque indispensable à cet égard est clair : informer, mobiliser, et former. Il faut en effet, d’une part, informer de manière efficiente les collaborateurs et les managers. Une gageure dans un monde où l’infobésité règne, usant les esprits et provoquant une surcharge cognitive. “On doit être capable d’identifier les sujets utiles, et de proposer une hyperpersonnification des sources et des contenus en fonction des besoins.” Sous peine de rater les cibles et d’informer dans le vide, ou avec un contenu inadapté..
Il faut, d’autre part, mobiliser les équipes. C’est une évidence, mais pas un jeu d’enfant, alors que l’effritement du management traditionnel a réorganisé les entreprises selon des modèles plus transversaux. Là encore, il faut trouver les bons leviers. “L’entreprise peut créer un dispositif informationnel organisé autour de référentiels, de veilleurs, qui sont des experts sur un sujet et vont s’informer sur l’écosystème et rediffuser les clés utiles pour mobiliser les équipes, conseille Avital Vallois. Si on a une meilleure connaissance de l’environnement et de l’entreprise, ça permet de développer un sentiment d’appartenance. Il ne faut pas pousser de l’info pour pousser de l’info, mais identifier une information de qualité qui va créer de l’adhésion.” À cet égard, l’IBET, s’il a été réalisé, peut permettre d’identifier les profils les plus engagés et donc de s’appuyer dessus.
Enfin, les collaborateurs doivent être formés à recevoir et à utiliser ces éléments. Selon les usages de l’entreprise et les profils concernés, cela peut passer par des ateliers de facilitation, des conférences, des interactions pour les rendre acteurs… Autant de moyens de faire comprendre à tous ce qu’est une information utile, et surtout comment elle est transposable en action.
Car, in fine, l’enjeu est là. Créer un engagement réciproque entre l’entreprise et ses collaborateurs, générer une adhésion collective et active. Et ainsi offrir un climat social propice aux changements de modèles indispensables à une économie régénératrice.